Comme chaque nuit, le sommeil a fuit. Comme un lâche, il m'abandonne, comme chaque nuit, il me laisse seule contre tous ces foutus cyclones. Mon cœur devient capharnaüm. Une sorte d'amas, de désordre, de méli-mélo, de bric-à-brac d'émotions. Je ne sais toujours pas par où commencer pour en finir avec tout ce mal. Si j'avais su que ça me suivrait ainsi chaque jour et chaque nuit, si j'avais su que ça me collerait à la peau comme une coquille d'escargot. J'aurais profité de mon insouciance pour visiter les flots et jurer en argot. Mon cœur semble vouloir foutre le camp de ma poitrine. Je me lève, manque de nicotine. Il reste quelques clopes sur la table de la cuisine. 

Comme chaque nuit, elle a fuit. Comme une lâche, elle m'abandonne, comme chaque nuit, elle me laisse seul pour sa nicotine et son monoxyde de carbone. J'ai l'impression de n'être plus personne. C'est tellement plus facile pour elle de fuir que d'assumer. Me regarde t-elle seulement encore ? Voit-elle le remue-ménage incessant qui torture mon corps ? Voit-elle à quel point mon cœur crie haut et fort qu'il brûle de faire corps avec son décor ? J'ai l'impression qu'elle a perdu toute son innocence, elle ne m'accorde plus aujourd'hui que les brûlures du froid de l'indifférence. De jour comme de nuit, je suis dans l'attente de sa présence. C'est pas une vie ça, notre romance à des allures de démence. D'histoire en suspend. D'aventure hors du temps. C'est pas comme ça que j'imaginais nos lendemains, c'est pas ce à quoi je m'attendais en lui prenant la main.

Il ne comprend pas. Il ne me comprendra jamais, après tout il n'est pas moi. Je suis une femme à l'état de compost. J'enchaîne bouffée sur bouffée, je voudrais me tuer à coup de fumée, ne plus avoir à me justifier. J'ai plus la force, je suis paralysée et l'écorce de mon corps se désagrège peu à peu. Je suis nue. Je n'suis plus. Plus rien que le néant apocalyptique, un champ de bataille après une guerre psychodramatique. Et ça il ne peut pas le comprendre, lui qui a toujours vécu entouré de tout et de tous et d'amour chaque jour. Il ne connait pas l'inconsistance qui me ronge. Ce mal qui bat en cadence sous mon sein, cette douleur qui est née dans le malsain. J'écrase ce qui reste de ma cigarette dans le cendrier. Assez de torture. Il faudrait que je dorme, au moins pour la forme. J'arrive à la porte de la chambre. Il est sur le dos, les yeux ouverts, le corps nu. Cela fait trop longtemps qu'il ne me fait plus rien, que je n'ai plus ce papillon dans l'estomac. Comme lorsque ses deux petits soleils venaient embraser mes amandes, aujourd'hui caramélisées à force d'avoir trop pleuré.

Elle ne comprend pas. Elle ne comprendra jamais, après tout elle n'est pas moi. Je suis un homme au cœur en compote. Où est-ce qu'elle s'est cru ? On ne donne pas son cœur pour le reprendre du jour au lendemain. Elle est devenue l'ombre d'elle-même, une sorte de pantin oxygéné et vide d'entrain, qui se force à sourire pour ne pas pleurer, qui blanchit à la lumière du dehors et  qui vomit quand le monde dort. Je lève les yeux. Elle est à la porte, me regardant de ses pupilles lourdes et de ses cernes creusés. Son corps, presque squelettique, d'une pâleur extrême, ne me fait plus aucun effet. A qui la faute si on en est arrivé là ? Sûrement pas moi. Ses invraisemblables démons ont finis par lui flinguer la raison, il n'y a plus en elle qu'un tourbillon d'abomination. Et pourtant je lui souris, malgré moi. Par habitude ou par lâcheté, je la prendrais dans mes bras, avant de l'embrasser sur le front. Et de lui souhaiter bonne nuit.
 
 
 
 
Chaque histoire est différente et propre à ses auteurs. Et cette névrose n'est pas un cas isolé.